Conseils d’une petite souris dans la neige
Entre deux tempêtes de neige, une accalmie, un grand ciel bleu, un superbe soleil, qui nous invite à aller prendre l’air. Dehors tout est immobile sous l’épais manteau neigeux, seul le crissement de nos pas trouble le silence. Nous respirons à plein poumons et tout en marchant, nous contemplons les arbres dont les branches ploient sous le poids de la neige ; lorsque nous atteignons le lac aux fées, nous admirons les sculptures éphémères formées par les sources gelées qui dégringolent la pente. Elles sont figées dans un écrin de glace scintillante, enrobant gracieusement les racines des arbres qui surplombent l’étendue d’eau.

Le cœur en joie, nous prenons le chemin du retour, l’humeur légère. Et c’est en remontant la route enneigée que nous remarquons une petite forme qui s’agite au milieu de l’immobilité : elle est minuscule, on pourrait presque la confondre avec une des dernières feuilles mortes que l’on peut encore trouver sur le sol. Dans les traces laissées par les pneus des voitures, elle s’affaire, presque sans bruit, cherche, fouine, puis s’arrête un instant pour porter quelque trésor vers son museau, avant de prestement cheminer de quelques centimètres et étudier de nouveau les creux et les bosses de la route enneigée.
C’est une petite souris*, dont les petites oreilles velues et les minuscules doigts agiles sont touchants de délicatesse. Médusées, nous nous arrêtons pour l’observer. Elle ne fait absolument pas cas de notre présence : peut-être a-t-elle très faim, ou bien sait-elle qu’elle aura le temps de fuir si nous nous avisons de nous approcher d’un peu plus près.
* Souris, musaraigne, mulot… ? En vérité je ne sais pas : je connais bien les plantes, mais beaucoup moins bien les animaux !

Que cherche-t-elle ? La route est bordée de hêtres, et il reste certainement des faînes de cet automne, ou tout du moins de petits morceaux de faînes ; j’imagine qu’elles sont accompagnées d’autres pépites savoureuses, dont nous ignorons jusqu’à l’existence. La perspicacité de cette petite souris m’émeut : elle doit vraiment avoir faim pour prendre de tels risques.
Sa présence et sa besogne me renvoient à l’éthique de la cueillette, que je partage à chacun des stages que j’organise : toujours cueillir en conscience, toujours se rappeler que nous faisons partie d’un vaste système, dont les interactions et les équilibres subtils ont besoin d’être préservés, et cueillir la juste quantité.

Justement, comment savoir quel volume de plante il est possible de prélever sans exercer trop de pression sur le milieu ? En vérité, la réponse est complexe : elle varie suivant la saison, les conditions climatiques (printemps humide et ensoleillé, sécheresse, grand froid, etc.) et la partie de la plante que l’on cueille. Ainsi, si la récolte de la racine tue la plante, en revanche, en conditions normales, celle-ci est en mesure de refaire les feuilles que nous prélevons. En ce qui concerne les fleurs, elles ont un rôle reproducteur, et sont essentielles à la survie de la plupart des espèces, alors que les fruits sont généralement voués à être mangés pour disperser les graines.
Il est encore au moins un facteur dont il est impératif de tenir compte, et cette petite souris affairée vient nous le rappeler : ce sont les animaux qui ont besoin des plantes que nous cueillons pour se nourrir. Pour eux, il n’y a pas de plan de secours, pas de repli possible au supermarché si la récolte a été décevante. En hiver par exemple, les oiseaux, les renards et les blaireaux se nourrissent des fruits sauvages : cueillir presque tous les cynorhodons d’un églantier, c’est vider un garde-manger et mettre une sacrée pression sur le reste des plantes.

Il y a quelques semaines, je suis allée cueillir des cynorhodons avec Françoise, dans un lieu que nous connaissons particulièrement bien pour être très bien fourni en églantiers. Quelle n’a pas été notre surprise en arrivant, de constater que les nombreux églantiers étaient au moins vidés jusqu’à hauteur de main d’homme (ou de femme !) bien tendue au-dessus de la tête, voire parfois sans plus aucun fruit… Abasourdies, nous nous sommes tout d’abord demandées si les animaux avaient déjà faim à ce point courant novembre… du jamais vu.
Toutefois, en montant d’un lacet, nous avons trouvé une vaste étendue d’églantiers remplis d’énormes cynorhodons : le premier lieu dans lequel nous nous étions rendues avait donc été pillé par un-e humain-e bien peu scrupuleux-se qui s’était cru-e au supermarché le jour des super promos : celles qui sont carrément gratuites… alors que l’hiver s’annonce rigoureux et que nombre de fruits ne sont pas présents du fait des gels tardifs de ce printemps. D’autres razzias peuvent mettre à mal toute une communauté, comme par exemple le rotofilage systématique des colonies d’orties, qui sont l’unique nourriture de la chenille de certains papillons.

Pour en revenir à la question de la quantité qu’il est possible de cueillir lorsque l’on récolte des plantes sauvages comestibles, si l’on prend en considération tous ces paramètres, on se rend vite compte qu’un calcul va être bien long et compliqué, et retirera tout l’intérêt de la cueillette.
Reste donc l’option de la conscience : celle de cueillir bien centré-e, dans le moment présent, et relié-e au monde vivant qui nous entoure. Et surtout, cueillir dans la confiance : non, nous ne récoltons pas pour remplir le congélateur pour les 12 prochains mois ! La nature se renouvelle perpétuellement, d’autres trésors sont prévus pour les semaines et les mois à venir – et nos besoins, étroitement liés à la saison, évoluent au fil des mois. Oui, c’est bien dans la gratitude et dans la joie que l’on cueille, en s’inscrivant ainsi dans les cycles de la vie, et en se laissant porter par les forces du vivant. Conscient-e-s de sa place auprès de la vie qui nous entoure, ancré-e-s dans une relation simple et saine, basée sur le respect et la confiance, nous ressentons sans effort la juste quantité à récolter, qui s’impose alors d’elle-même.
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