Le touriste visite, le pèlerin est visité

En arrivant au Puy-en-Velay le 17 septembre, après 5 bonnes semaines de marche, Lounis et moi avions cette impression bizarre de n’en être qu’à l’introduction de notre périple. Nous venions de marcher quelques 400 km, et de traverser l’Oisans, Belledonne, la Chartreuse, le Nord-Isère, Le Pilat et le Forez et nous avions déjà à notre actif nombre de péripéties en tout genre : malgré tout, nous ne nous sentions pas encore vraiment dans le vif du sujet. Nous étions loin de nous douter à quel point nous avions raison…

Cette première partie avait pourtant été marquée par un nombre d’enseignements plus ou moins douloureux, mais qui relevaient tous du monde physique et pratique : limites imposées par nos corps, par les choix matériels qui découlent du volume et du poids du sac à dos, par notre vitesse de déplacement, réflexion sur l’équipement dont nous avions besoin et nécessité de revoir une partie de notre matériel.

Nous avions fait une semaine de pause au Puy pour revoir notre matériel, et en repartant, nous avions l’impression d’avoir bien intégré les leçons du chemin d’une part, et d’avoir réglé ce qui n’allait pas côté équipement (tenues de pluie plus adaptées, vêtements plus chauds, etc.) d’autre part. Tout semblait parfait pour mieux profiter de notre Chemin : en vérité, tout était parfait pour aborder la seconde partie du voyage intérieur – la confrontation à nos propres limites et à nos démons intérieurs.

Dame Nature s’en est alors mêlée, avec l’arrivée de la pluie dès le premier jour. A l’humidité se sont ajoutés le froid et le vent : en Margeride et plus encore sur le plateau de l’Aubrac, nous avons marché par très grand vent, dormi sous des températures quelquefois négatives, le tout parfois accompagné de pluie. Nous dormons sous tente la plupart du temps, ce qui implique des conditions de vie très différentes de celles du pèlerin qui dort en gîte. Si ce dernier sait qu’après une rude journée froide il pourra profiter d’une douche (plus ou moins) chaude le soir et se réchauffer dans un lit bien chaud avant de repartir le lendemain, qu’après avoir été trempé au cours d’une journée pluvieuse il pourra se sécher, faire sécher ses vêtements et ses chaussures et se ressourcer le temps d’une nuit dans un endroit sec, pour nous, la réalité est très différente… Les conditions de vie que nous expérimentons le jour sont les mêmes que celles que nous expérimentons le soir, la nuit et au petit matin avant de repartir.

La détérioration des conditions météorologiques nous a ainsi poussé dans nos retranchements et nos limites psychiques, nous forçant à affronter l’adversité toute la journée et toute la nuit, sans plus de moment de répit, pendant parfois plusieurs jours d’affilée. Après les apprentissages liés aux limites physiques imposées par mon corps lors de la première partie de notre voyage, j’étais maintenant en plein apprentissage de mes limites psychiques, avec à la clé la nécessité de trouver les ressources nécessaires pour faire face à l’adversité au moyen terme.

Lorsque les conditions se sont vraiment montrées défavorables, nous avons de temps en temps cherché à passer la nuit en gîte… ce qui nous a mené sur d’autres terrains douloureux. De nombreux gîtes nous ont en effet refusés, n’acceptant pas les chiens, et cela même par temps très menaçant (nous avons par exemple dû nous abriter sous nos tentes en plein orage de grêle, à la suite d’un refus d’accueil). Cerise sur le gâteau, pour justifier leur refus alors que l’accueil est censé être la base de leur prestation, les propriétaires de gîte n’hésitent pas à mentir en invoquant des règlements sanitaires (qui ne stipulent pas l’interdiction des chiens), les punaises de lit (qui ne sont pas transportées par les chiens), les allergies (avez-vous déjà rencontré quelqu’un allergique aux chiens ? Moi pas…).

Ces refus m’ont mise face à un autre démon : celui de se sentir exclue, et même traitée comme une indésirable, comme si la présence de Diksy nous rendait porteurs de saleté, de mauvaises conditions d’hygiène, voire de maladies ou de parasites. J’ai souvent pensé aux sans-abris et aux migrants lorsque les portes se sont fermées et que nous étions confrontés à des conditions difficiles (conditions météorologiques, mais aussi tout simplement nécessité de prendre une douche ou encore besoin de confort pour une nuit). L’autre ne me reconnaissait tout à coup plus vraiment comme un semblable, n’était plus doué d’empathie à mon égard, m’excluant de ce fait en partie du groupe des êtres humains. La menace que je représentais vis à vis du confort de cette personne était soudainement plus importante que mon appartenance à l’humanité, remettant presque en question cette dernière.

J’ai vécu des journées au plus bas, me demandant si je voulais arrêter le chemin, essayant de retrouver les raisons pour lesquelles j’avais tant voulu vivre cette aventure ; j’ai passé des heures à pleurer, au bout de mes forces mentales, incapable d’envisager d’être confrontée à mes limites plus longtemps. Comment passer à une autre dimension de cette grande aventure qu’est le chemin de Compostelle ? Comment finit-on finalement par sortir grandis de ce passage ?

L’entraide en est certainement une : Lounis, lui-même confronté à ses propres limites et à ses propres démons, a souvent su trouver les bons mots ou la bonne attitude pour me soutenir, et vice-versa. Ainsi, tout au long de ces semaines, nous nous sommes mutuellement aidés et soutenus dans ces passages difficiles. Récemment, nous avons compris que nous devions absolument former une équipe soudée, envers et contre tout. Parfois ce sont les rencontres faites en chemin qui aident : là aussi, les paroles des uns soutiennent un pèlerin en difficulté, qui lui-même va aider en retour sur d’autres thématiques. D’autres fois encore, il y a des moment magiques, des rencontres inattendues, des lieux ou des personnes vraiment accueillantes, qui permettent de se ressourcer et de prendre des forces pour continuer, et l’on se rend compte que finalement, même lorsque l’on a l’impression d’être confrontés de manière permanente à l’adversité, il y a des moments de répit, ou de véritables moments de bonheur. Il faut alors savoir les saisir, les étreindre, en profiter pleinement, les garder au fond de soi pour les utiliser comme une base solide sur laquelle s’appuyer, et enfin, avoir la foi, même dans les situations les pires, que ces moments vont revenir, et même, qu’ils ne sont pas loin. Car au bout du compte, c’est vraiment de foi dont il est question : la foi en notre aventure, la foi en nos capacités, la foi en notre ange gardien, la foi en l’amélioration rapide de situations qui paraissent difficiles, la foi en la magie du chemin. La foi en notre formidable force de vie, et en sa capacité à nous donner les ressources et la volonté pour traverser les situations les plus difficiles, mais aussi en sa capacité à faire naître et entretenir notre joie de vivre, nous permettre de profiter pleinement des plus beaux moments, pour ensuite s’appuyer sur ces moments magiques, s’en inspirer, s’en nourrir et sentir à quel point nous sommes pleinement acteurs de la suite du Chemin…

Pour nous soutenir dans cette aventure, vous pouvez participer à la cagnotte en ligne : https://www.onparticipe.fr/cagnottes/s2TD68Ez Merci à vous ! 🙂

Publié par carolinecalendula

Ethnobotaniste, auteure, conférencière et formatrice Créatrice culinaire Co-directrice éditoriale et rédactrice : l'Aventure au Coin du Bois

2 commentaires sur « Le touriste visite, le pèlerin est visité »

  1. Je suis content ,vous avancez vers votre chemin intérieur qui est le but de cette aventure unique,je vous soutiens de tout mon coeur !Jean-Marc, un ami.

  2. Quel courage bravo. Notre rencontre au Puy en Velay est dans notre coeur. Nous aimerions beaucoup vous revoir. Bises à vous et une énorme caresse pour Diksi

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